

Préservation de la fertilité chez les patientes atteintes de cancer du sein
Fertilité et cancer du sein
Le pronostic des patientes atteintes d'un cancer du sein s’améliore constamment grâce aux progrès diagnostiques et thérapeutiques.1
Les questions relatives à la qualité de vie post cancer sont devenues une problématique majeure. Pour les patientes les plus jeunes, la possibilité d’avoir un enfant demeure souvent au premier plan lorsqu’elles n’ont pas ou incomplètement achevé leur projet parental. Cependant, les traitements mis en œuvre vont souvent compromettre le potentiel de fertilité de ces jeunes femmes.2

Il est désormais clairement établi que la grossesse obtenue naturellement ou après assistance médicale à la procréation (AMP) chez les femmes atteintes de cancers du sein ayant été traités ne constitue en rien un sur-risque de récidive et n’impacte pas leur survie.3
Malgré cela, les taux de grossesses naturelles dans cette population sont encore difficiles à appréhender notamment en raison d’un grand nombre de femmes qui ne s’autorisent pas à concevoir de crainte que les bouleversements hormonaux retentissent sur leur maladie.4
Des études récentes estiment que les femmes aux antécédents de cancer du sein voient leurs chances de grossesse réduites de 40 à 60% par rapport à la population générale.2
Malheureusement, dans ces situations, les techniques d’AMP conventionnelles seront peu efficaces du fait de l’âge de la femme (souvent aux alentours de 40 ans) et des conséquences à long termes des traitements anti-cancéreux sur la qualité ovocytaire.5,6
Ainsi, nombreuses sont celles qui seront orientées vers le don d’ovocytes pour mener à bien leur projet de maternité.7
L'infertilité féminine après traitement d’un cancer du sein peut être la conséquence de 2 phénomènes qui souvent s’additionnent : i) la gonadotoxicité de la chimiothérapie, qui altère directement le stock des follicules primordiaux ; ii) le vieillissement ovarien physiologique, à l’origine d’une perte folliculaire durant les années où une grossesse est médicalement contre-indiquée.8
Au vu de l’importance des problématiques de fertilité chez ces jeunes femmes et des piètres performances des techniques d’AMP post cancer, se sont développées des consultations d’oncofertilité destinées à informer les patientes de l’impact des traitements anticancéreux sur la fonction reproductive et, éventuellement, mettre en place des techniques de préservation de la fertilité (PF). Les recommandations actuelles de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) et de l’International Society for Fertility Preservation (ISFP) font désormais état de l’importance de ces consultations avant toute initiation du traitement.9,10
Une évaluation de la réserve ovarienne par un compte des follicules en échographie transvaginale et dosage sanguin d’hormone anti-Müllérienne sera un prérequis indispensable à la consultation.11 Le choix de la stratégie de PF est multifactoriel et s’appuiera sur : l'âge de la patiente, l'évaluation de sa réserve ovarienne, l’indication d'une chimiothérapie, son administration en néo-adjuvant ou en adjuvant et l'éventuelle indication d'une hormonothérapie.12-29
Les techniques de préservation de la fertilité
Protection ovarienne par les agonistes de la GnRH (GnRHa)
La place des GnRHa dans la préservation de la réserve ovarienne reste encore très controversée. Malgré un rationnel physiopathologique discutable et une efficacité controversée, cette stratégie de PF présente des avantages indéniables, notamment le fait qu’elle ne nécessite aucun délai d'action, n'induit pas de stimulation ovarienne et ne comprend pas d'intervention chirurgicale supplémentaire.12,13
Elle a par ailleurs un rôle contraceptif et l’absence de règles en période de chimiothérapie est bénéfique.14
Les effets secondaires sont toutefois à prendre en compte : bouffées de chaleur, sécheresse vaginale et possiblement un déficit en minéralisation osseuse.15 Les récentes recommandations de l’European Society of Human Reproduction and Embryology font état de la possibilité d’administrer des GnRHa en cours de chimiothérapie sans réelle certitude sur la protection du stock ovocytaire ni effet sur la future fertilité. En outre, cette stratégie ne doit pas se faire au détriment d’une autre technique de PF potentiellement plus efficace.16
La cryopréservation embryonnaire et/ou ovocytaire après stimulation ovarienne
Cette technique demeure actuellement le gold standard en termes de PF. Elle pourra être proposée chez les femmes de moins de 40 ans.17
Le traitement implique une stimulation ovarienne par FSH exogène pendant 10-14 jours, théoriquement contre-indiquée en cas de cancer du sein, en raison de l’hyperestradiolémie qui s’y associe.18
Cependant, les récentes données suggèrent que la stimulation ovarienne à visée de PF ne s’associe à aucun sur-risque oncologique.19
Les modalités de stimulation ovarienne sont globalement identiques à celles utilisées pour les couples infertiles indemnes de toute pathologie cancéreuse. Le prélèvement ovocytaire est réalisé par ponction transvaginale échoguidée, sous anesthésie locale ou générale. Les ovocytes recueillis, maturés in vivo via l’apport de FSH exogène, pourront être immédiatement vitrifiés et/ou fécondés pour une cryopréservation embryonnaire.20
La principale problématique relative à la stimulation ovarienne chez les patientes avec cancer du sein reste l’exposition, dans un contexte de pathologie estrogéno-dépendante, à des concentrations d’estradiol supraphysiologiques (pouvant atteindre 10 à 20 fois les valeurs observées au cours d’un cycle naturel).21 Pour pallier ce problème, des protocoles spécifiques ont été proposés associant une administration de gonadotrophines exogènes à des molécules anti-estrogènes ou anti-aromatases.22
Actuellement, la stimulation ovarienne est proposée en situation de chimiothérapie adjuvante, entre la chirurgie d’exérèse et l’initiation de la chimiothérapie. En situations néo-adjuvantes, peu de données de « safety » sont rapportées, ce qui freine encore, tout du moins en France, la proposition de stimuler les patientes avec une tumeur en place.23
La cryopréservation embryonnaire et/ou ovocytaire après maturation in vitro (MIV)
La vitrification embryonnaire ou ovocytaire est maintenant possible à partir d'ovocytes maturés in vitro.24
Cette technique présente 2 principaux avantages : elle est réalisable en urgence sans traitement préalable, quelle que soit la phase du cycle et n’implique pas de stimulation ovarienne et donc d’hyperestradiolémie.23
La MIV est donc particulièrement intéressante chez les patientes avec une indication de chimiothérapie néo-adjuvante, pour qui la stimulation ovarienne semble complexe.23
La MIV consiste en un recueil de complexes cumulo-ovocytaires par ponction transvaginale échoguidée des petits follicules antraux non stimulés. Les ovocytes récupérés sont maturés dans un milieu spécifique. Seuls les ovocytes maturés in vitro après 24h à 48h, ont la capacité d'être fécondés ou vitrifiés.25
Même si la première naissance après MIV dans un contexte de PF a été récemment rapportée par l’équipe de Clamar, il faut avoir conscience que la compétence des ovocytes congelés après MIV est bien moindre que celles des ovocytes prélevés après stimulation ovarienne.24
La cryopréservation de cortex ovarien
La cryopréservation de tissu ovarien représente la seule technique offrant la possibilité d’une restitution ovarienne endocrine et exocrine. Elle va consister en un prélèvement cœlioscopique de tout ou partie d’un ovaire.26
La quantité de tissu ovarien prélevée doit être suffisamment importante, dans la mesure où un grand nombre de follicules sera perdu au moment de la congélation, de la décongélation et de la transplantation.27
La greffe pourra se faire en site orthotopique, dans le pelvis, ou hétérotopique (tissu sous-cutané de l’avant-bras, de la paroi abdominale…).28
Un des intérêts de la cryopréservation de tissu ovarien est de pouvoir se combiner à un recueil d’ovocytes immatures en vue d’une MIV et d’une vitrification ovocytaire ou embryonnaire. Le prélèvement peut se pratiquer in vivo, avant la cœlioscopie, ou ex vivo, sur la pièce d’ovariectomie.29
En cas de pathologie mammaire localisée, le risque de réintroduction de cellules tumorales qui auraient été congelées dans le tissu ovarienne semble relativement faible.
La place de la cryopréservation de fragments du cortex ovarien chez la femme jeune atteinte de cancer du sein, est actuellement discutée. Les récentes recommandations de l’ESHRE mentionnent que cette technique peut être proposée chez les patientes qui refuseraient une stimulation ovarienne, en particulier si elles sont âgées de moins de 37 ans.16
Cancer du sein et mutation des gènes BRCA
La PF chez les patientes mutées BRCA constitue un enjeu majeur. Les patientes mutées représenteraient environ 10% de l’ensemble des jeunes femmes atteintes de cancer du sein.30
Également à risque de cancer ovarien, leur prise en charge qui peut intégrer une annexectomie bilatérale prophylactique vers l’âge de 40 ans, nécessite une attention particulière.31
Des études récentes ont montré que les femmes mutées présenteraient une diminution de la réserve ovarienne et un âge de survenue plus précoce de la ménopause. Chez les patientes ayant bénéficié d’une PF, un nombre plus restreint d’ovocytes étaient recueillis.32
De plus amples travaux sont nécessaires afin de confirmer ces données. L’annonce de la mutation se fait en général après le processus de PF. Il convient donc d’informer les patientes sur l’éventuel impact d’un tel diagnostic quant à l’utilisation de leurs gamètes, le risque de transmission étant de 50%.33
Les mutations des gènes BRCA peuvent faire l’objet de prise en charge en diagnostic pré-implantatoire au cas par cas.
Conclusion
La préservation de la fertilité est parfaitement envisageable pour la plupart des patientes présentant un cancer du sein.9,10
Il semblerait que des protocoles de stimulation ovarienne spécifiques combinant gonadotrophines exogènes et molécules anti-estrogènes puissent être utilisés chez ces patientes.20
La MIV avec vitrification ovocytaire et/ou embryonnaire pourrait être une option intéressante dans la stratégie de PF de ces patientes, en association au prélèvement de tissu ovarien.29
De nombreux enjeux restent à venir sur la réutilisation de ces ovocytes et du cortex ovarien cryopréservés impliquant des questionnements éthiques qui ne manqueront pas de faire évoluer notre société.
L’expert
Références
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